Depuis quelque temps l'intérêt du grand public pour la spiritualité et notamment pour les philosophies et pratiques orientales connaît un grand essor. Ce n'est pas nouveau. Dans les années 60 avec les hippies, le début du New Age et le « supermarché spirituel » américain, l'Occident a connu une période de rupture entre deux époques. Un mode de vie et des conventions sociales avaient été fissurés et un autre commençait à se développer, la contreculture se mettait en place. Cette fissure a été quelque peu estompée pendant quelques décennies par l'essor économique et la mondialisation des années 90 rendus possibles grâce à l'usage massif des énergies fossiles. L'illusion d'une croissance économique illimitée imposait partout un style de vie occidental basé sur la consommation, la mobilité et le loisir. D'autre part, la prise de conscience sur les limites des écosystèmes a également progressé depuis les années 70, avec le premier rapport du Club de Rome « The limits to Growth » (1) qui a mis en évidence l'impossibilité d'une croissance permanente de la population et de la consommation dans une planète aux ressources limitées. Dès lors, les informations scientifiques ont démasqué les véritables conséquences du capitalisme: le changement climatique et l'effondrement des écosystèmes qui soutiennent la vie humaine sur la Terre. Malgré les évidences scientifiques et les alertes périodiques de certains organismes internationaux, les résistances à amorcer les changements dans le système productif, la mobilité et la consommation sont tenaces. Le doute sur la fiabilité des prévisions scientifiques a été efficacement répandu et financé par les secteurs économiques concernés, la contestation sociale a été stigmatisée ou réprimée. Pour la grand majorité de la population la biosphère reste encore une espèce de machine prévisible et contrôlable par la technologie, les cycles naturels de dégradation étant réparables et les matériaux remplaçables par de nouveaux investissements du capital. En effet, on préfère encore fantasmer sur de nouvelles révolutions technologiques plutôt que d’envisager de changer ses habitudes, l'inertie destructrice du système étant plus puissante que la raison et le bien commun. Malgré leur gravité, les problèmes environnementaux ne sont pas abordés par les media dans leur véritable dimension. D'autre part, l'action des pouvoirs publics se limite le plus souvent à des exercices de diplomatie plus ou moins cyniques et à des opérations de « com » politique. Néanmoins, après la crise économique de 2008, le climat social a commencé à évoluer. Les inégalités et les souffrances d’une grande partie de la population ont répandu la colère, la peur et la doute. Des menaces de toute sorte pèsent de plus en plus sur nos esprits. Nous partageons la sensation grandissante de perte de repères, de saut dans l'inconnu qu’il soit scientifique, politique, économique, social, moral ou matériel. Dans le même temps, les inerties et les contraintes de la vie quotidienne dont le rythme ne cesse de s'accélérer ne font qu'augmenter la pression psychologique. De même que nous ne parvenons pas à gérer le flux d'information généré par les nouvelles technologies dont l'usage semble nous assujettir plutôt que nous libérer. Dans ce contexte chaotique et ce vertige de la pensée, la quête de sens vital semble une conséquence tout à fait naturelle. De nouveaux imaginaires s'avèrent indispensables. Devant la perspective d'un effondrement de la civilisation, non seulement une nouvelle relation entre la nature et la culture s’impose mais encore des ressources psychologiques et philosophiques pour faire face à l'angoisse et la peur grandissantes deviennent indispensables. La quête spirituelle devient un besoin organique. L'un des effets les plus positifs de la mondialisation a été la divulgation de pratiques spirituelles et des savoirs traditionnels indigènes qui nous relient à la fois au corps et à la Terre. A présent, nous avons accès au patrimoine spirituel de l'humanité. Dans les grandes villes, l'échange inter-culturel est un fait que tout un chacun peut expérimenter de façon quotidienne. Malgré la banalisation et les distorsions inévitables, internet et les réseaux sociaux rendent également possibles - pour ceux qui sont prêts à faire le tri - un partage d'information exceptionnel à ce sujet. De nouvelles significations émergent et se répandent rapidement dans la conscience collective. L'asphyxie intellectuelle de l'ethnocentrisme européen, qui isolait l'homme de la nature comprise comme une pure extériorité à conquérir et à dominer, commence à être dépassée par ses propres découvertes. Le regard sur la matière de la nouvelle physique replonge dans la source des anciennes cosmologies. On commence à accepter qu'il n'y ait pas de coupure entre le moi et le non-moi. On (re)découvre la philosophie de non-dualité présente dans de nombreuses traditions religieuses en Orient et en Occident. On s'ouvre à une nouvelle perception qui fait vivre et agir l'individu dans une nature, une lumière, un espace, un temps et une trame de causes et d'effets qualitativement différents de ceux qui caractérisaient la vision conventionnelle du monde. Certes, la crise écologique est terrifiante par son ampleur, mais elle nous offre aussi un choix, sauter dans le gouffre abyssal ou s'acheminer vers un autre niveau de conscience. Albert Einstein l'a exprimé ainsi : « un être humain fait partie de la totalité que nous appellons l'Univers. Nous nous voyons ainsi que nos pensées et sentiments comme etant separés du reste. C'est une sorte d'illusion optique de la conscience. Cette illusion est comme une prison qui nous limite à nos désirs personels et à de l’affection pour nos proches. Notre tâche doit être de nous libérer de cette prison en élargissant notre cercle de compassion à toutes les créatures vivantes et à l'ensemble de la nature dans toute sa beauté. La véritable valeur d'un être humain est déterminée par la mesure et le sens de libération du soi qu'il a pu atteindre. Nous aurons besoin d’une manière de penser radicalement différente si l'humanité doit survivre ». Note- Les Limites à la croissance (dans un monde fini) (en anglais The Limits To Growth), également connu sous le nom de « Rapport Meadows », est un rapport demandé à des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) par le Club de Rome en 1970, publié en anglais en 1972.
1 Commentaire
Isabel
4/14/2019 13:49:06
“Nous aurons besoin d’une manière de penser radicalement différente si l'humanité doit survivre” C’est la clé, maintenant la question est de savoir si nous le ferons à temps. Une réflexion très intéressante et nécessaire. Merci Elisa
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Elisa LamprosAncienne juriste et consultant en droit de l'environnement, la découverte du yoga Kundalini en 2004 m'a fait oser changer de chemin pour me consacrer à la littérature. Après la parution de mon premier roman en 2011 ("Desorientación" chez Caballo de Troya-Penguin Random House, sous le nom d' Elisa Iglesias) j'ai travaillé quelques années dans le domaine du journalisme et de l'activisme écologiste. Archives
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